ANNE WANNER'S Textiles in History   /  publications

Les mouchoirs de Suisse Orientale, dans: De Fil en Aiguille, revue des amis du musée textile Choletais, No 20, Novembre 1997, p. 18, 19, par Anne Wanner-JeanRichard, Suisse

       
  La broderie manuelle fut en Suisse orientale dès 1750, une activité appréciée, voire indispensable puisqu'elle nourrissait une partie de la population. Elle se faisait alors à domicile, pour le compte de distributeurs de travail fournissant les tissus et fils nécessaires. Ces commerçants intermédiaires recueillaient ensuite les broderies pour les remettre aux grands commerçants des villes.

Les expositions, universelles, comme celles de Londres (1851, 1862), de Paris (1855, 1867, 1889) et de Vienne (1873) ont fait l'éloge des broderies de Suisse orientale et primé leurs exposants.

Le mouchoir était l'un des principaux produits brodés en Suisse orientale. Les premières inspirations, sous forme de croquis émanant de Paris, étaient jadis parvenues dans la région de St-Gall. Mais la littérature correspondante signale que les Appenzelloises, les femmes de l'arrière-pays plus particulièrement concerné, se mirent bientôt elles-mêmes à élaborer des dessins conformes aux goûts parisiens.
La première exposition suisse vouée aux produits de l'industrie et de l'artisanat se tint en 1843. Son catalogue mentionne un Johann Ulrich Rohner (né le 27/05/1820, décédé à une date inconnue) dont on rapporte qu'il créait la broderie selon ses idées: il semblerait donc qu'il ne se soit pas inspiré de la

  métropole française. Aux expositions universelles, les entreprises de Suisse orientale durent leur succès à leurs broderies en général, mais aussi à leurs mouchoirs brodés.
Le catalogue de l'exposition de Londres en 1851 cite entre autres un certain Johann Ulrich Tanner, de Buehler, dans le pays d'Appenzell, dont les produits exposés furent illustrés dans le Leipziger Zeitung (Journal de Leipzig) de la même année. L'entrepreneur Johannes Baenziger de Thal près de St-Gall, a lui aussi exposé ses mouchoirs à Londres. Il avait alors à Hoechst, en Autriche, à quelques kilomètres de la frontière suisse, une succursale du nom de Schneider & Baenziger, dont quelques mouchoirs ont été authentifiés et inventoriés par les musées de Stuttgart en Allemagne.

L'histoire des mouchoirs brodés peut également être retracée à partir de chroniques familiales. Par exemple, nous devons à Anna Maria Mettler (1825-1870), brodeuse à Herisau, un mouchoir qu'elle confectionna vers 1850; elle épousa en 1847 Sébastian Herzig, à St-Gall, qui était dessinateur en broderie; leur fils cadet Richard (1864-1935) embrassa lui aussi la profession de dessinateur; les descendents de cette famille conservent aujourd'hui de précieux mouchoirs et autres broderies de cette époque.


 


printed design for embroidered handkerchief, 1860-1865


hand embroidered handkerchief, designed by Richard Herzig, end of 19th c.


  La collection du musée de St-Gall compte près de 300 mouchoirs brodés main dont nous ignorons, pour la plupart, le contexte exact dans lequel ils ont été confectionnés. L'heureuse découverte de modèles et croquis nous permet cependant de répertorier certains d'entre eux avec précision. Les broderies en relief conçues par Wilhelm Koch (1823-1897) méritent à cet égard une attention particulière. Natif de Hanau, en Allemagne voisine, il s'était établi en Suisse orientale en 1857, où il travailla comme dessinateur dans une entreprise appartenant partiellement à son frère: la maison Custer, Koch & Cie à St-Gall, qui cessa son activité le 15 septembre 1861.
Wilhelm Koch dirigea ensuite un commerce de machines à coudre, mais il est très probable qu'il continua à dessiner des broderies qu'il fit exécuter par des femmes de la région. Nous lui devons une collection de modèles, de 173 feuilles, faite de peintures miniatures sur papier bleu et, plus rarement, brun. Ces modèles sont souvent agrémentés de petits morceaux de tissus densément brodés, appliqués sur un fond lui aussi densément brodé. Ces feuilles étaient
  présentées à la clientèle pour susciter ses commandes. Ensuite le dessinateur transposait les motifs choisis sur une sorte de gabarit: un papier transparent, piqué avec des aiguilles fines suivant le contour du motif et dont les trous ainsi obtenus permettent, par application d'une poudre de couleur foncée, de marquer le fond à broder.

Mais en général, on sait peu des dessinateurs, et encore moins des brodeuses: leurs traces se sont perdues dans le temps. L'auteur d'un journal de visite officiel d'une exposition universelle déplore qu'aucune brodeuse appenzelloise n'ait reçu de distinction. Pourtant, le nombre de ces brodeuses était considérable puisque Johannes Baenziger semble avoir occupé plus de 4000 personnes avant 1840. Ce chiffre ne comprenait probablement pas que les brodeuses mais aussi d'autres professions textiles. Selon une statistique industrielle de 1880, les cantons de St-Gall, d'Appenzell et de Thurgovie occupaient alors 2330 personnes dans la seule broderie manuelle.


     
 


design, white paint on brown paper, by Wilhelm Koch, around 1860


embroidered motive on fabric, around 1860

   

 

 

Hand embroidered handkerchief, 2nd half 19th c.
Textile Museum St. Gallen, Inv.No 20332

 
Hand embroidered wedding handkerchief, 1907
Textile Museum St. Gallen, Inv.No 43040


  La seconde moitié du XIXème siècle est difficile pour la broderie faite main, sérieusement menacée par la broderie mécanique. Le métier manuel fut inventé par Josua Heilmann, en 1828 à Mulhouse. Un brodeur saint-gallois en acheta deux exemplaires, dont l'utilisation satisfaisante nécessita encore quelques perfectionnements.
Les modifications apportées par E.F. Rittmeyer et son mécanicien permirent, vers 1850 de produire les premières broderies industrielles convenables. Dans les années 1860, Isaak Groebli (1822-1917), d'Oberuzwil près de St-Gall, développa la machine à broder dite à navettes, qui connut un vif succès à partir de 1883. L'année 1890 est celle du plus grand nombre de métiers à broder manuels installés en Suisse orientale: 18'499. Un siècle plus tard, en 1993, il n'en existe plus que 49. Quant aux machines à broder à navettes, elles atteignirent leur zénith en 1920, où l'on en recense 5116, contre 27 seulement en 1993.

Les mouchoirs brodés mécaniquement l'étaient suivant deux techniques distinctes.

La première de celles-ci consistait à pourvoir la machine à broder d'une quarantaine de cadres sur lesquels on tendait un quart de chaque mouchoir. Une fois ce quart brodé, on tendait le deuxième quart pour

  la présenter à la machine. Et ainsi de suite. La broderie comprenait essentiellement des point plats et des ajours.

La deuxième technique repose sur la broderie au rongeant ou chimique mise au point en 1883. Elle convenait aussi bien aux anciens métiers manuels qu'aux nouvelles machines à navettes.
La première broderie du genre consistait à transporter un dessin en fibre végétale sur un fond tissé en fibre animale, puis à éliminer ce dernier dans un bain de soude caustique.
Plus tard, le fond fut tissé en acétate et dissout à l'acétone.
Nouvellement on peut utiliser un fond en fibre chimique spéciale qui a l'aventage de s'enlever à l'eau chaude.

Sans compter d'autres matières, en feuilles ou non tissées, qui disparaissent, elles, dans l'eau froide.

Dès lors, la broderie au rongeant, qui rappelle la dentelle par son aspect, se pratique sur toutes les largeurs de tissus pour toutes sortes d'applications, ornementations des précieux mouchoirs de Suisse orientale comprise.


       
 

Machine embroidered corners
of handkerchiefs, after 1870

     
 

Machine embroidered corners
of handkerchiefs, after 1870

 
     

content   Last revised 15 October, 2004